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Règlement anti-déforestation : l'Union européenne peut-elle encore tenir sa promesse ?

Décryptage par les journalistes du média indépendant Les Surligneurs

Règlement anti-déforestation : l'Union européenne peut-elle encore tenir sa promesse ?

L’instrument « anti-déforestation » de l’Union européenne entrera-t-il en application au 30 décembre 2025 comme prévu ?

Le débat s’annonce rude dans les instances de l’UE. Un nouvel épisode dans la saga de ce règlement, censé être l’un des piliers du « Green deal » européen, s’est en effet écrit lundi 26 mai à Bruxelles. En marge d’une réunion des ministres de l’Agriculture des Vingt-Sept, 11 pays membres (Autriche, Luxembourg, Italie, Roumanie, Bulgarie, République Tchèque, Finlande, Lettonie, Croatie, Portugal et Slovénie) ont appelé à un nouveau report de cette législation devant interdire l’importation et la commercialisation au sein du marché unique d’une série de produits (cacao, café, soja, huile de palme, bois, viande bovine, caoutchouc, cuir, ameublement, papier…) lorsqu’ils sont issus de terres qui ont été déboisées après 2020. 

Un règlement déjà reporté

Adopté en mai 2023, ce règlement aurait initialement dû s’appliquer à compter de décembre 2024. Mais cette échéance avait fini par être décalée d’un an sur proposition de la Commission européenne sous une double pression : exercée à l’extérieur de l’UE par certains des grands partenaires commerciaux visés (Brésil, Indonésie, Malaisie, États-Unis, ou encore la RDC) ; et à l’intérieur de l’UE, par une large majorité d’États membres qui avaient jugé ses procédures excessivement contraignantes pour les acteurs économiques. Le 17 décembre 2024, le Parlement européen, grâce à une majorité inédite entre la droite et l’extrême droite, a adopté la proposition de la Commission de repousser d’un an l’application du règlement.

Des simplifications qui ne s'appliquent pas à tous

Depuis, l’exécutif européen a concocté une série de mesures de simplification destinées à faciliter la tâche des entreprises, lesquelles auront notamment à prouver l’origine des produits via des données de géolocalisation (comme le requiert l’article 9 du règlement) : dévoilée mi-avril dans des « lignes directrices », ces mesures doivent « permettre une réduction de 30 % des coûts administratifs engendrés par cette nouvelle réglementation », estime la Commission.

Pas suffisant, cependant, aux yeux des 11 pays. « Les exigences imposées aux agriculteurs et aux sylviculteurs restent élevées, sinon impossible à mettre en œuvre. Elles sont disproportionnées compte tenu de l’objectif du règlement », jugent leurs ministres de l’Agriculture respectifs dans un document cité par Reuters, où sont réclamés davantage de simplification, ainsi qu’un ajournement supplémentaire d’un an, à décembre 2026. 

Cette vaste coalition aura-t-elle gain de cause ? Beaucoup pourrait dépendre de la position des autres gouvernements, a fortiori ceux des grands pays. Lundi à Bruxelles, l’Allemagne a semblé sur la ligne des 11 pays, quand la France et l’Espagne « ont estimé, au contraire, que le texte devait entrer en vigueur à la date convenue (...), tout en reconnaissant le besoin de simplifier les règles au maximum », note le média spécialisé l’Agence Europe.

Des traitements de faveurs regrettables

La Commission européenne avait jusqu’ici l’air résolu à s'en tenir à la date butoir du 30 décembre 2025. Outre les lignes directrices de simplification, d’ailleurs accompagnées d’une dense foire aux questions vouée à aider les sociétés à se conformer à la législation, l’exécutif de l’UE a dévoilé le 22 mai un document très attendu : un projet d’acte d’exécution et son annexe rangeant les différents pays du monde dans trois catégories en fonction de leur niveau de risque en matière de déforestation.

Le contenu de ce document (prévu à l’article 29 du règlement) a suscité des critiques ; on ne trouve dans la catégorie des pays « à hauts risques », dont les exportations feront l’objet d’une vigilance renforcée, que la Russie, le Bélarus, la Corée du Nord et le Myanmar, soit quatre nations faisant l’objet de sanctions européennes, et qui ne commercent pas ou presque pas avec l’Union. Ainsi, le Brésil, l’Indonésie, la RDC ou la Bolivie (les quatre pays ayant le plus recours à la déforestation) se voient, quant à eux, rangés dans la catégorie « standard ». Pour l'ONG Global Witness, il est regrettable que le Brésil ne soit pas classé à haut risque, alors que « la crise de la déforestation touche des forêts essentielles pour le climat en Amazonie ».

Et pour cause, il semble que les pays du Mercosur (Brésil, Uruguay, Paraguay, Argentine), avec qui des négociations en vue d’un accord de libre-échange ont été conclues en décembre 2024, auraient alors obtenu de la Commission européenne la garantie de ce traitement plutôt favorable, selon le média Euractiv. 

L'influence de Trump sur les accords commerciaux européens

Plus globalement, à l’heure où l’UE s’efforce de diversifier ses relations commerciales face au protectionnisme de Donald Trump, il n’est pas si étonnant que la Commission cherche « à éviter de se fâcher avec de grands partenaires commerciaux des pays émergents »,  relève Alain Karsenty, économiste, chercheur au CIRAD (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) dans une publication en ligne

Reste que, malgré cette classification qui paraît assez politique, la Commission n’a pas à ce stade renoncé à l’ambition initiale du règlement. 

« Le classement dans les différentes catégories de risque signifie simplement des obligations de diligence raisonnée plus ou moins contraignantes pour les importateurs (et des probabilités de contrôle plus ou moins élevées par les autorités des États membres,  (comme détaillé à l’article 16), mais il ne dispense pas des obligations de traçabilité à la parcelle dans tous les cas », rappelle Alain Karsenty. 

Lundi 26 mai, les 11 ministres réfractaires ont toutefois réclamé la création d’une nouvelle catégorie de pays à « risque très bas », qui pourraient alors échapper à tout contrôle douanier et toute obligation de traçabilité.

Si les 27 membres de l’UE, (à ce stade rangés dans le groupe « à bas risques »), finissaient opportunément par atterrir dans une telle catégorie, les partenaires commerciaux de l’Union auraient beau jeu de dénoncer un « deux poids, deux mesures ».

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