La taxe française sur les petits colis se heurte au droit européen.

Projet de taxe sur les petits colis, bonus-malus environnemental, interdiction de publicité : la France a sorti l’artillerie lourde. Mais Bruxelles y voit plusieurs incompatibilités avec le droit européen. L’Union, elle aussi, prépare sa riposte. Reste une impression : celle d’une réaction toujours à contretemps.
La France va-t-elle frapper la fast fashion chinoise d’une taxe aux frontières ? C’est en tout cas son intention. Dans son projet de budget présenté le 14 octobre dernier, le gouvernement Lecornu a proposé une taxe sur les « petits colis », à raison de 2 euros par article (à l’article 22). A ce jour, une quarantaine d’amendements ont été déposés sur ce point.
Électronique bon marché, jouets bas de gamme, et donc vêtements de piètre qualité vendus à prix imbattables … Ces produits, essentiellement issus des plateformes d’e-commerce chinoises, type Shein, Temu ou Alibaba déferlent désormais par centaines de millions sur l’Hexagone chaque année.
L’objectif affiché par l’exécutif : endiguer « cette dynamique [qui] bouleverse les équilibres économiques de la distribution traditionnelle, et fragilise certains commerces de proximité ainsi que le dynamisme de nombreux territoires (...) », lit-on dans le projet de loi de finances (PLF). Sans parler des conséquences environnementales désastreuses liées aux déchets de ces marchandises qui respectent rarement les normes de l’UE. « C'est complètement contraire à nos objectifs de décarbonation », a souligné Emmanuel Macron le jeudi 24 octobre à Bruxelles, à l’issue d’un sommet européen, se satisfaisant que le sujet soit « traité par la France dans ses textes budgétaires à venir ».
Excepté au RN, où l’on revendique de préserver le pouvoir d’achat, le principe de la taxe est consensuel parmi les forces politiques. A l’Assemblée nationale, les groupes rivalisent même de propositions pour en augmenter le montant. La palme revenant au MoDem, dont l’un des amendements fixerait celui-ci à 50 euros par article, comme le relève le média Contexte.
Mais, il y a un gros hic. L’idée de la taxe figurait en réalité déjà dans la proposition de loi (PPL) contre les dérives de la fast fashion, qui a été votée à la quasi-unanimité par le Sénat le 10 juin, un mois après son adoption non moins massive à l’Assemblée nationale. Or, la Commission européenne, qui s’est vue notifier ce projet en juin, a jugé un tel dispositif contraire au droit européen dans un « avis circonstancié » envoyé à Paris fin septembre.
Mise en œuvre par la France seule, cette taxe « pourrait compromettre l’uniformité du système douanier commun », a estimé l’exécutif de l’UE, rappelant que « dans le domaine de la politique commerciale commune (…), l’Union dispose d’une compétence exclusive ».
Plutôt qu’une taxe à proprement parler, Paris pourrait opter pour « des frais de gestion » sur ces petits colis, au nom de la charge de travail infligée aux douanes, ce qui serait compatible avec le droit européen – au titre de l’article 52 du code des douanes de l’Union. C’est l’alternative moins ambitieuse que lui conseille Bruxelles, tout en prévenant que ce modèle serait « fondamentalement différent d’une taxe ».
Pour être dans les clous, ces frais auront en effet à « être fondés sur une méthodologie transparente (...) démontrant les coûts supplémentaires de la surveillance douanière des envois liés au commerce électronique ; inclure un mécanisme de révision et d’ajustement réguliers des frais en fonction des coûts réels ; s’appliquer (…) non seulement aux colis extra-UE, mais à tout envoi soumis à des contrôles similaires ; éviter d’imposer une charge financière inutile aux opérateurs (…) », énumérait la Commission dans cet avis daté du 29 septembre.
Cependant, la solution ne serait-elle pas européenne ? L’idée d’un prélèvement aux frontières sur les petits colis est déjà dans les tuyaux à l’échelle de l’UE, où son efficacité pourrait être supérieure, comme l’a estimé le Président français le 23 octobre à Bruxelles.
La Commission a en effet proposé, en mai dernier, d’imposer en Europe des frais de gestions sur ces petits colis. Cependant, comme souvent à Bruxelles, les négociations sont lentes entre les États membres qui peinent en particulier à s’entendre sur l’usage des recettes. Celles-ci doivent-elles revenir dans la poche des États membres ? Ou abonder les finances de l’UE, comme le propose la Commission, afin de rembourser le plan de relance post-Covid ? La question est sensible.
La mise en œuvre du prélèvement au niveau de l’Union n’est dès lors pas attendue avant… 2027. On comprend donc que la France, qui « soutient activement » le projet de la Commission européenne, préférerait néanmoins prendre les devants (comme d’ailleurs d’autres pays qui vont entamer des poursuites à l'encontre de Temu et Shein). La taxe tricolore proposée serait ainsi « temporaire » et « permettra, dans l’attente d’une solution européenne durable, d’améliorer la gestion des flux aujourd’hui », est-il expliqué dans le projet de loi de finances. Reste l’obstacle du droit européen.

La France, comme l'UE, apparaît pour l’heure cruellement impuissante face au défi posé par Shein et Temu. Outre la proposition de taxe, la Commission a émis une série d’autres réserves juridiques concernant la proposition de loi tricolore contre la fast fashion. Pas moins de 7 des 12 articles du texte français sont concernés, comme l’indique le média Contexte.
La France aurait notamment à revoir à la baisse l’ambition de son dispositif de bonus-malus pour inciter à la réparabilité des produits. Le processus tel qu’adopté par le Sénat prévoyait que les enseignes comme Shein aient à payer une pénalité de 5 euros par produit, à reverser à un éco-organisme, dès lors que leur prix est si bas qu’il incite à racheter neuf plutôt qu’à réparer… Mais selon la Commission, « le niveau des pénalités semble disproportionné (...) ».
Enfin, Bruxelles retoque, comme attendu, l’interdiction générale de publicité pour les sites de mode ultra-éphémères, type Shein et Temu. Cette mesure serait contraire au droit européen sur l’e-commerce, qui interdit de discriminer une entreprise située dans un autre État membre. Or le siège européen de Shein est, par exemple, installé en Irlande.
L’avis de la Commission a provoqué l’ouverture d’une période de statu quo de 3 mois – jusqu’à fin décembre – pendant laquelle la France ne pourra pas adopter sa proposition de loi. Un temps que les parlementaires pourraient mettre à profit pour retravailler le texte.
L’UE ne reste pas les bras croisés face à la fast-fashion chinoise : en juillet dernier, la Commission a accusé Temu de violer les règles européennes sur le numérique en ne combattant pas la vente de produits illégaux, ce qui expose le géant chinois à des amendes massives ; et en septembre, le Parlement européen a définitivement adopté une directive pour imposer un principe de « pollueur-payeur » aux producteurs textiles d’ici 2030.
Mais devant le raz-de-marée du e-commerce chinois, qui lui ne se fait pas attendre, demeure l’impression que le Vieux Continent réagit toujours avec un temps de retard.