← Revenir au blog

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sera-t-il le miraculé du Green deal européen ?

Décryptage par les journalistes du média indépendant Les Surligneurs

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sera-t-il le miraculé du Green deal européen ?
À l’inverse des directives CSRD et sur le devoir de vigilance, ce règlement souvent appelé  « taxe carbone aux frontières » a vu son fonctionnement simplifié sans que l’ambition initiale ne soit remise en cause. Reste qu’une série d’obstacles, internes comme externes, se dressent sur la route de ce mécanisme d’ici à son entrée en vigueur prévue pour début 2026. Décryptage. 
Au contraire des directives CSRD et sur le devoir de vigilance, toutes deux en cours de rabotage à Bruxelles, et de la législation européenne anti-déforestation, qui est aussi menacée, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE (MACF) ne semble pas fondamentalement remis en cause pour l’instant. 
Les États membres de l’UE ont certes confirmé, ce 26 juin, une simplification de ce règlement inédit, qui prévoit de taxer à partir de début 2026 certaines importations parmi les plus émettrices en fonction de leur empreinte carbone (acier, fer, aluminium, ciment, engrais, hydrogène et électricité ; soit des secteurs où les entreprises de l’UE paient déjà, en partie, pour leur CO2 depuis de nombreuses années). 

Exempter certains importateurs au regard de leur empreinte carbone

Dans l’objectif de réduire la charge administrative occasionnée par le nouveau MACF, tous les opérateurs européens dont les importations cumulées d’acier, d'aluminium, d'engrais et de ciment ne dépassent pas les 50 tonnes sur une année, seront finalement exemptés. 

Cette réforme de simplification, qui avait été initiée fin février par la Commission européenne soulagera ainsi pas moins de 91% des entreprises en question ; mais ce, tout en continuant de cibler 99% des émissions importées au sein de ces produits. Et pour cause, dans ces secteurs une grosse partie des émissions industrielles sont importées par des multinationales. Il s’agit typiquement d’un constructeur automobile européen achetant de larges volumes d’acier venu de Chine.

Quand l’exécutif de l’UE est accusé par les tenants de la politique verte de prendre régulièrement le prétexte de la simplification pour revenir sur l’ambition de son Green Deal, c’est là, pour le coup, un « bon exemple de simplification intelligente », a salué l’eurodéputé français Pascal Canfin (Renew, centriste). 

Reste que de nombreux obstacles demeurent sur la route du MACF, dont la création était défendue par la France depuis Jacques Chirac. D’abord, la mise en œuvre de cet instrument inédit programmée pour le 1ᵉʳ janvier prochain constituera un important défi technique. On peut notamment s’interroger sur la fiabilité du calcul des émissions que pourront transmettre les usines étrangères (faute de quoi celles-ci se verront appliquer des valeurs par défaut). Les contrôles devront être effectués par des certificateurs agréés, puis in fine, par les services de douanes. Sauf que ceux-ci sont déjà surchargés. 

Des contestations internationales

De plus, si le MACF européen inspire des initiatives similaires dans des pays comme le Canada et le Royaume-Uni, il est aussi contesté par de grands partenaires commerciaux de l’UE, à commencer par l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud et le Brésil. Et pour cause, « même avec son champ initialement limité, l’impact du MACF pourrait être sévère » sur les industries de ces économies, ou de celles de l’Égypte et de la Turquie, notait un rapport du Boston Consulting Group, fin 2023. 

Avant même que le moindre euro n’ait été ponctionné, l’Inde fait partie des États les plus remontés. « À tout pays mettant en place de telles taxes, qui constituent des barrières non-tarifaires au commerce, l'Inde répondra avec des mesures complètes », a déclaré le 18 juin le ministre indien du Commerce Piyush Goyal auprès de Politico. « Elle ripostera avec ses propres taxes (...) sur les produits d'intérêt pour les pays correspondants ». 

Vu de Bruxelles, ces tensions sont très malvenues à l’heure où l’UE cherche à développer ses relations commerciales à travers le monde afin de contrebalancer les effets des tarifs douaniers de Donald Trump. Fin février dernier, la Commission européenne et New Delhi s'étaient justement engagées à conclure un vaste accord de libre-échange UE-Inde d’ici fin 2025. Bruxelles pourrait-elle, in fine, être tentée de faire une croix sur son MACF afin de faciliter ce type de pourparlers ? 

Le sujet sensible de la tarification carbone aux frontières devrait également ressurgir les 24 et 25 juillet prochains à Pékin où doit avoir lieu un sommet UE-Chine très attendu, alors que les conflits commerciaux se multiplient déjà, par ailleurs, entre les Européens et l’Empire du Milieu.

Un conflit devant l’OMC sur le MACF

En parallèle, la légalité du règlement continue de poser question. Si le commerce de la Russie avec l’Union s’est sensiblement réduit ces dernières années, Moscou a formellement initié le 19 mai dernier un conflit avec l’UE sur le sujet devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). 

Aux yeux des pays qui le contestent, le MACF relève d’un « protectionnisme vert », contraire aux règles du commerce international. Certains pays, notamment les moins développés, y voient en outre une violation du principe du droit international dit « des responsabilités communes, mais différenciées », selon lequel les pays développés doivent assumer un rôle plus important que les autres dans la lutte contre le changement climatique - au nom du poids de leurs émissions historiques. 

L’UE invoque pour sa part l’article 20 du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) qui prévoit des exceptions aux principes du libre-échange pour permettre des mesures destinées à la protection des végétaux ou de la biodiversité. Les experts sont partagés quant à l’issue d’une procédure devant l’OMC, car ces mesures ne doivent pas constituer « un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays ».

Enfin, pour ne rien simplifier, les industriels européens qui exportent dans des pays où la concurrence n’est pas soumise à une telle tarification des émissions de carbone sur place s’estiment lésés. De fait, le MACF vise à rétablir une juste concurrence au sein du marché européen, mais ne corrige pas les iniquités dont souffrent les acteurs européens en dehors des frontières de l’Union. Ces entreprises mettent en ce moment une forte pression sur les institutions de l’UE pour obtenir, sous une forme ou l’autre, des compensations financières. Elles pourraient bien avoir gain de cause dans les prochains mois. 

Rédaction : Clément Solal, journaliste

Relecture : Vincent Couronne, docteur en droit européen

Je m'abonne !