Décryptage par les journalistes du média indépendant Les Surligneurs
Une entente entre la droite et l’extrême droite européennes empêchera-t-elle l’UE d’inscrire dans sa loi l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 90 % à l’horizon 2040 ? Rien ne garantit que les Européens parviendront à poser ce jalon clé sur la route de la neutralité carbone en 2050, comme l’a officiellement proposé la Commission européenne le 2 juillet dernier.
Cette cible, censée guider la politique environnementale européenne dans la prochaine décennie, doit désormais être négociée puis approuvée au Conseil de l’UE – l’institution réunissant les 27 États membres – ainsi qu’au Parlement européen. Or, au sein de l’Assemblée de l’UE, la « loi climat 2040 » a connu un départ chaotique début juillet. Le mardi 8 juillet, un membre du groupe des Patriotes pour l'Europe - qui rassemble notamment le Rassemblement national français et le Fidesz hongrois de Viktor Orban - a hérité à la surprise générale du poste de rapporteur sur ce texte.
Cette position stratégique de rapporteur qui permet de piloter les négociations au sein du Parlement, confère à la formation d’extrême droite un pouvoir de nuisance inédit sur l’agenda climatique. Les Patriotes, présidés par Jordan Bardella, sont en effet « résolument opposés » à l'objectif de réduction des émissions de 90 %, comme ce dernier l’a indiqué le 8 juillet au Parlement, et plus généralement aux lois vertes de l’UE. Ils pourraient donc bloquer le processus pendant des mois en le retardant de façon délibérée, notamment en faisant traîner en longueur la phase de préparation et rédaction du rapport.
Pour l’éviter, les groupes des Verts, Renew (centre) et les Socialistes ont tenté en vain de faire passer la loi climat 2040 par une « procédure d'urgence » au sein du Parlement de Strasbourg. Cela aurait permis de limiter considérablement le pouvoir du rapporteur Patriotes, et les risques de sabordage de ce texte crucial.
Dans un second coup de théâtre, le déclenchement de cette procédure d'urgence a donc été rejeté le mercredi 9 juillet. « Un vote rendu possible grâce aux voix du Parti populaire européen (PPE, droite classique), première force au Parlement, qui s'y est opposé, faisant ainsi alliance objective avec l'extrême droite », explique Les Echos.
L’UE, qui détricote en ce moment plusieurs piliers de son Green Deal, dont les directives CSRD, contre le greenwashing, ou sur le devoir de vigilance, doit-elle dès lors dire adieu à son objectif 2040 ?
Non, pas à ce stade : dans un communiqué, le PPE a fait savoir qu’il restait en principe favorable à cette cible, mais qu’il préférait attendre que le Conseil de l’UE adopte sa propre copie en premier. sont habituellement les eurodéputés qui prennent position avant les Vingt-Sept.
En pratique, un second vote sur une procédure d’urgence pourrait être déclenché au Parlement pour mettre les Patriotes hors jeu avec, cette fois-ci, le soutien du PPE.Pour ce genre de procédure, le rapporteur n'a pas forcément à rédiger de rapport, ce qui réduit son pouvoir de nuisance. Mais ce, une fois que les Etats membres auront adopté leur position au Conseil.
Au fond, la formation conservatrice - dont nombre de membres sont en réalité réticents sur la loi climat 2040 - cherche avant tout à gagner du temps, et à s’assurer que son adoption soit accompagnée d’un maximum de flexibilités.
Car les discussions au Conseil s’annoncent longues et laborieuses, tant le sujet est clivant entre les Vingt-Sept. Quand certains pays, dont la Pologne, l’Italie ou la République Tchèque, sont nettement opposés à ce texte, d’autres, comme la France, ont des réserves et souhaitent avancer lentement. Reste à savoir si ces États pourraient constituer une minorité de blocage, ce texte devait recueillir une majorité représentant au moins 15 États représentant au moins 65 % de la population de l’UE.
On peut ainsi douter que l’Union parvienne à se doter de cet objectif d’ici à la COP 30, qui se tiendra du 10 au 21 novembre à Belém (Brésil), comme le souhaitent la présidence danoise du Conseil de l’UE et la Commission européenne.
Et si l’Union finit par s’engager à réduire de 90 % ses émissions d'ici 2040 – soit le minimum nécessaire pour que l'UE respecte son engagement de l'Accord de Paris de limiter le réchauffement à 1,5 °C, selon le consensus scientifique – ce sera probablement selon des conditions souples.
Pour convaincre les Vingt-Sept, la Commission européenne a déjà inclus une série de « flexibilités » dans sa proposition initiale du 2 juillet. L’exécutif de l’UE a notamment proposé que les États puissent à l’avenir comptabiliser des crédits carbone internationaux – reçus en échange de leur soutien à des projets de décarbonation dans des pays tiers – à hauteur de 3 % de la totalité des émissions nettes de l'UE (en 1990) pour atteindre le futur objectif 2040.
Une ouverture exigée par Berlin et Paris, mais très critiquée par les ONG vertes, tant ce système de crédit carbone, prévu par l’article 6 de l’Accord de Paris, ne semble aujourd’hui pas fonctionnel. Cette limite de 3 % pourrait, typiquement, être allongée lors des pourparlers.
Rédaction : Clément Solal, journaliste
Relecture : Vincent Couronne, docteur en droit européen