Décryptage par les journalistes du média indépendant Les Surligneurs
Malgré l’appel d’Emmanuel Macron à « écarter » certaines règlementations emblématiques du Green Deal, les directives CS3D et CSRD ne sont pas encore enterrées. Mais au regard du texte en discussion, auquel Les Surligneurs ont eu accès, un net recul se profile : réduction du nombre d’entreprises concernées, incertitudes sur le régime de responsabilité civile, obligations allégées dans les chaînes de valeur… Tandis que le Conseil de l’UE et le Parlement européen négocient la réforme « omnibus », les lignes continuent de bouger à Bruxelles.
Pas si simple de simplifier. De laborieuses tractations ont lieu au sein des instances de l’UE sur l’allègement des piliers de la politique ESG européenne initiée au début de l’année par la Commission européenne au nom de la compétitivité.
Le 28 février dernier, l’exécutif de l’UE avait en effet proposé une législation dite « omnibus » visant à simplifier plusieurs législations clés du Pacte vert européen adoptées lors du précédent mandat, dont les directives sur le devoir de vigilance, et celle sur le reporting de durabilité.
Pour rappel, la directive CS3D impose aux grandes entreprises de prévenir et de remédier aux atteintes aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. La CSRD, quant à elle, oblige environ 42 000 entreprises à publier chaque année des données détaillées sur leurs pratiques ESG (émissions de CO2, gestion des ressources, égalité, etc.).
Au menu de la proposition « omnibus » : une baisse drastique du nombre de sociétés ciblées dans les deux cas, ainsi que la suppression d’un grand nombre des obligations qui leur incombent dans les textes initiaux. Dans les faits, la copie de Bruxelles ressemble davantage à un profond affaiblissement qu’à une simplification.
Mais les co-législateurs de l’UE, le Conseil (réunissant les 27 États membres), et le Parlement européen, où le projet de simplification fait désormais l’objet de discussions, donneront-ils leur assentiment ? Oui, c’est bien possible, d’autant plus au vu de la ligne désormais assumée par Paris et de Berlin.
« La CS3D et quelques autres régulations ne doivent pas être simplement repoussées d'un an, mais écartées », a tranché Emmanuel Macron le 19 mai à Versailles lors du sommet Choose France, emboîtant le pas au nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz. Le chrétien-démocrate avait plaidé le 9 mai pour une « abrogation » de la directive sur le devoir de vigilance, une « solution durable au problème » de la surcharge administrative générée, à ses yeux, par ce texte. Malgré les prises de position des dirigeants des deux principales puissances de l’Union, ces législations ne sont pas nécessairement vouées à disparaître.
Les débats entre États membres au Conseil du 28 mai dernier témoignent de divisions persistantes. À titre d’exemple, le ministre danois de l’Industrie — dont le pays assurera la présidence tournante du Conseil de l’UE à partir de juillet — s’est récemment exprimé contre toute suppression de la directive sur le devoir de vigilance.
Par ailleurs, si la déclaration de Friedrich Merz, partiellement nuancée par son porte-parole, s’inscrit dans la ligne d’opposition traditionnelle de l’Allemagne à ce texte, la position exprimée par Emmanuel Macron ne reflète pas celle portée par la France dans les négociations européennes.
Privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale, le chef de l’État ne dispose plus d’un gouvernement entièrement aligné sur sa ligne politique. « Les diplomates de la représentation permanente française à Bruxelles et le ministère de l’Économie ne sont pas sur la même ligne concernant l’hypothèse d’une suppression totale », indique une source européenne proche des discussions.
Eric Lombard, le ministre de l’Économie tricolore issu de la gauche, s’était prononcé fin mars en faveur d’un « maintien » du régime de responsabilité civile, un « élément essentiel » sans lequel « l’impact de la directive [sur le devoir de vigilance] sera très affaibli ».
Ce dispositif, inscrit à l’article 29 de la version actuelle du texte, prévoit que les entreprises puissent être tenues pour civilement responsables des dommages causés, sous certaines conditions, en cas de manquement à leurs obligations de vigilance. Il avait toutefois été supprimé de la proposition « omnibus » présentée par la Commission, laissant à chaque État la liberté de le prévoir.
En coulisses, la France, comme la Belgique, l’Espagne, et la Finlande poussent pour son maintien au nom d’une harmonisation européenne en la matière (la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance comporte un tel dispositif, bien que moins robuste que celui prévu par l’UE) quand l'Allemagne milite en faveur de son abolition.
Il ne faut pour autant pas s’y méprendre : les discussions au sein du Conseil devraient, dans leur ensemble, aboutir à un affaiblissement substantiel des ambitions initiales du texte, à l’image de la proposition de la Commission.
Au sujet des champs d’application des dispositifs, la dernière tentative de compromis de la présidence du Conseil de l’UE (que nous avons pu consulter) table sur un seuil de 1000 employés pour la CSRD comme pour la CS3D, à l’instar de ce qu’avait proposé la Commission fin février. Ce point ne fait toutefois pas consensus : la France, quant à elle, a proposé un critère de 5 000 employés, ce qui reviendrait à cibler un nombre très limité d’entreprises.
Autre point d’achoppement important au Conseil : les plans de transition climatique requis par la directive sur le devoir de vigilance, à son article 22. Il semble acquis que les entreprises ciblées auront bien à concevoir de telles stratégies pour expliciter comment elles entendent contribuer aux objectifs de l’UE en matière climatique. Reste toutefois une incertitude de taille : seront-elles juridiquement tenues de les "mettre en œuvre" ? La formulation retenue dans le texte final sur ce point demeure l’un des enjeux clés des négociations.
Par ailleurs, des discussions ont lieu sur la pertinence de la proposition de la Commission de restreindre le devoir de vigilance aux opérations de l’entreprise elle-même et à celles de ses partenaires commerciaux directs (de niveau 1). Il n’y a ceci dit aucune chance d’en revenir à l’ambition de la version actuelle de la directive qui exige des multinationales de regarder bien plus loin parmi leurs sous-traitants, sur toute la chaîne d’activité.
En parallèle, un consensus semble émerger parmi les États membres en faveur d’une plus grande flexibilité pour les entreprises de moins de 1 000 salariés, qui pourraient être autorisées à ne pas répondre à certaines demandes d’information émanant de sociétés plus grandes, dans le cadre des dispositifs CS3D et CSRD.
Enfin, le texte que nous avons consulté laisse bien augurer une réduction drastique, à l’avenir, du nombre d’informations que les entreprises seront tenues de publier dans leur reporting de durabilité – au titre des ESRS (pour « European Sustainability Reporting Standards »).
Il faudra également compter avec le Parlement européen. L’institution strasbourgeoise pourrait-elle jouer un rôle de contrepoids pour préserver l’ambition initiale de ces textes phares du Pacte vert ? Rien n’est moins sûr. Les discussions y sont encore, à un stade, peu avancées : les eurodéputés doivent d’abord adopter leur propre version de la réforme « omnibus » avant l’ouverture des négociations interinstitutionnelles en trilogue, entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Pas demain la veille donc.
Rédaction : Clément Solal, journaliste
Relecture : Vincent Couronne, docteur en droit européen