Entre écologie et commerce : un avenir européen encore incertain
L’entrée en vigueur de cette législation phare du Green Deal, jugée indispensable parmi la communauté scientifique, pourrait être une deuxième fois reportée. Critiqué par plusieurs États membres de l’UE et conspué par certains de ses partenaires commerciaux, le dispositif, dont le déploiement constituerait un important défi technique, fait l’objet d’un bras de fer à Bruxelles. Son futur est incertain.
Soutenu par la communauté scientifique et par de nombreuses organisations environnementales, le règlement « anti-déforestation » de l’UE fait, en coulisses, l’objet d’un intense bras de fer.
Le 23 septembre dernier, la commissaire européenne à l’Environnement, Jessika Roswall, a annoncé un nouveau report d’un an de cette législation emblématique du Green Deal, qui devait entrer en application le 31 décembre prochain. Le motif invoqué par cette Suédoise, membre du groupe conservateur PPE ? L’impréparation du système informatique dédié, compte tenu « de la masse de données » qu’il s’agira de traiter.
De fait, la mise en application de ce règlement, voué à garantir que les produits vendus dans l’UE ne proviennent pas de terres déboisées ou dégradées après 2020, représente un important défi technique. Les importateurs d’huile de palme, de café, de soja, de cacao, de bétail, de bois et de caoutchouc auront à soumettre des déclarations « de diligence raisonnable » comprenant entre autres la géolocalisation du terrain utilisé pour cultiver le produit importé – une information requise à l’article 9 du règlement qui sera, soit dit en passant, difficilement accessible dans certains des pays fournisseurs.
Certains estiment, néanmoins, que le problème informatique constitue un mauvais prétexte. Le 25 septembre, Sabine Weyand, la cheffe de la puissante Direction générale au commerce de l’institution s’est ainsi dite « surprise » de la déclaration de la commissaire à l’Environnement.
Quelques heures plus tard, c’était au tour de la vice-présidente de l’exécutif de l’UE en charge de la transition verte, Teresa Ribera, connue pour son engagement environnemental, d’y aller de son commentaire sceptique : « Il y a peut-être – je ne sais pas – des soucis techniques (...). Mais je suis sûre que nous pouvons trouver des alternatives existantes (...) et régler ces problèmes aussi vite que possible », a estimé la socialiste espagnole, remettant en cause au passage le report, annoncé, mais pas confirmé à ce stade.
Adopté en mai 2023 le règlement aurait initialement dû commencer à s’appliquer au 31 décembre 2024, mais le délai avait été repoussé une première fois de 12 mois l’année dernière. Le dispositif, dont le fonctionnement avait entre-temps été simplifié, sera-t-il de nouveau reporté ?
L’enjeu environnemental est en tout cas immense. « La demande de l’UE est responsable de 15 % de la déforestation mondiale liée au commerce, un impact disproportionné vu que l’Union représente 5,5 % de la population mondiale. Cela signifie que la consommation de l’UE contribue de manière significative à la destruction de la biodiversité, à la perturbation de la production d’eau douce et à l’émission de gaz à effet de serre », indique une récente note sur la déforestation publiée par le groupe de réflexion Bruegel.
D’après une étude scientifique de Nature climate change parue le mois dernier, la déforestation pourrait ainsi avoir causé la mort de plus d’un demi-million de personnes dans les régions tropicales au cours des deux dernières décennies, en raison de maladies liées à la chaleur.
La Commission qui a engagé des discussions avec le Parlement européen et le Conseil de l’UE (l’institution réunissant les Vingt-Sept) fait planer le doute sur le futur règlement. La donne apparaît en réalité assez défavorable pour les défenseurs du texte.
Du côté de l’Assemblée de l’UE, le PPE (droite), première force politique de l’hémicycle, est fermement mobilisé contre cette législation, avec le soutien des groupes d’extrême droite.
Au sein du Conseil de l’UE, les ministres de l’Agriculture de 18 États membres (l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et la Suède) avaient réclamé une nouvelle simplification et un nouveau report dans une lettre adressée à la Commission le 7 juillet dernier. Ces pays jugent les exigences pour les agriculteurs et autres exploitants forestiers de l’UE – auxquels s’appliquera le règlement – « onéreuses et injustifiées pour des pays présentant un risque insignifiant de déforestation ».
Mais les États de l’UE ne sont pas exempts de risques de dégradation des forêts, soulignait l’ONG Fern le 7 juillet, affirmant qu’en Suède, en Autriche et en Finlande, « l’opposition [au texte] est portée par de puissants acteurs de l’industrie forestière et papetière, étroitement liés aux gouvernements nationaux ».
L’affaire comporte aussi une importante dimension commerciale. Dans le cadre de son compromis tarifaire scellé avec Donald Trump le 21 août dernier, la Commission européenne s’était ainsi engagée à prendre en compte les inquiétudes américaines quant à plusieurs législations vertes de l’UE, dont celle sur la déforestation.
Si les États-Unis sont loin d’être le premier pays concerné, l’industrie américaine du papier et de la pâte à papier n’exerce pas moins une forte pression pour échapper à ces règles.
La législation est attaquée par d’autres partenaires commerciaux de l’UE en parallèle, dont le Brésil, l’Indonésie, ou encore la Malaisie, lesquels figurent pour le coup en haut de la liste des pays ciblés.
Ces frictions risquent de contrarier les efforts « de diversification commerciale » entrepris par l’UE afin, notamment, de limiter les effets économiques des tarifs douaniers de Donald Trump.
Coïncidence notable : l’annonce du nouveau report par la commissaire européenne à l’Environnement, le 23 septembre, est intervenue le même jour que la conclusion de la négociation en vue d’un traité de libre-échange entre l’UE et l’Indonésie, grande exportatrice d’huile de palme, et pays vent debout contre le règlement.
Le règlement anti-déforestation, pilier du Green Deal européen, illustre les tensions grandissantes entre l’ambition écologique et les réalités économiques et politiques. Son sort, encore suspendu aux arbitrages de Bruxelles, dira beaucoup de la capacité de l’Union à faire de la transition verte une politique crédible et cohérente.
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